Union Locale CFDT Tricastin

Masque obligatoire en entreprise mode d'emploi

Avec la systématisation du port du masque dans les espaces clos et partages, c’est une rentrée sanitaire marquée au sceau du Covid-19 à laquelle les entreprises sont confrontées. Portée de l’obligation, document d’évaluation des risques, règlement intérieur, refus du port du masque, etc. Mode d’emploi et revue de détail des questions pratiques qui se posent, par Franck Morel, Avocat associé, Flichy Grangé Avocats, ancien conseiller social du Premier ministre Édouard Philippe et de plusieurs ministres du travail, et Stéphane Bloch, Avocat associé, Flichy Grangé Avocats.

Un contexte sanitaire préoccupant, une mise à jour du protocole sanitaire
Les chiffres régulièrement publiés par Santé publique France sur l’épidémie de Covid-19 sont sans appel : jour après jour, les contaminations s’accroissent et le nombre de patients en réanimation augmente.
Le spectre d’une deuxième vague assortie de mesures de confinement ciblées ou même totales est dans tous les esprits et inquiète fortement le Gouvernement. Celui-ci a d’ailleurs décidé de repousser à la première semaine de septembre 2020 la présentation initialement prévue le 25 août de son plan de relance de l’économie, afin de pouvoir se consacrer plus complètement aux échéances de la rentrée sur le plan sanitaire.
Parmi ces échéances, figure en bonne place la mise en œuvre du protocole national de déconfinement modifié une nouvelle fois pour intégrer l’orientation annoncée dès le 18 août 2020 par la ministre du travail et concernant le port du masque en entreprise. Ce port est de toute évidence appelé à perdurer ainsi que l’a souligné la ministre du Travail.
Désormais, à compter du 1er septembre 2020, ce document mentionnera le fait que le port du masque est obligatoire dans tous les espaces clos et partagés, ce qui marque une différence par rapport à la situation antérieure où le port du masque était indiqué comme obligatoire dans les cas d’impossibilité de respect ou de risque de rupture de la distance physique d’au moins 1 mètre préconisée par les gestes barrières.
La situation de chaque entreprise est différente car la nature des travaux effectués, les locaux dans lesquels ils le sont, les conditions de circulation et le nombre de salariés présents simultanément vont être variables et avoir un impact sur l’évaluation des risques professionnels, les mesures déjà prises et les mesures à prendre en fonction de cette nouvelle situation.
Dès maintenant, des questions pratiques vont se poser et nécessitent d’adopter immédiatement une posture afin d’organiser dans les meilleures conditions la poursuite de l’activité de l’entreprise et la prévention des risques professionnels.
Ce qui a motivé les pouvoirs publics à prendre cette décision est l’augmentation du nombre de malades et de ce qu’on appelle les clusters, c’est-à-dire les foyers de regroupements de personnes générant et/ou facilitant la propagation de l’épidémie, en milieu professionnel. La crainte d’un nouveau confinement et de ses effets potentiellement dévastateurs a facilité l’acceptabilité de ce durcissement des principes dont la vocation est précisément d’enrayer un éventuel regain de l’épidémie. Ce rappel est primordial, car c’est à l’aune de ces circonstances qu’un certain nombre d’éléments d’analyse des règles applicables vont être dégagés.
Du collectif à l’individuel, cette évolution franchit la porte des entreprises et oblige à faire évoluer ses pratiques dans de nombreux cas.
D’emblée, dans la partie I du protocole consacrée à ses modalités de mise en œuvre, le ministère du Travail insiste sur l’importance du dialogue social qui permettra notamment d’anticiper d’éventuelles difficultés concrètes liées d’application :
« L’association des représentants du personnel et des représentants syndicaux permettra de décliner ces mesures dans l’entreprise en tenante compte de la réalité de son activité, de sa situation géographique et de la situation épidémiologique et des missions confiées à chacun ».
Ce dialogue social est d’autant plus nécessaire que le ministère du Travail a lui-même prévu dans le protocole que des adaptations au principe général du port du masque pourront être organisées pour répondre aux spécificités de certaines activités ou secteur professionnels après avis des autorités sanitaires. Or qui mieux que les partenaires sociaux sur le terrain, au plus près de la vie de l’entreprise et de la réalité concrète de leur activité, peuvent proposer et mettre en œuvre ces adaptations ?

Quelle est la portée obligatoire du protocole national ?
Tout au long de la crise sanitaire, les pouvoirs publics et notamment le ministère du Travail ont abondamment communiqué en particulier sur les mesures à suivre et les préconisations à adopter en matière de santé et de sécurité des salariés. De nombreuses Foires aux questions, recommandations, bonnes pratiques, guides, fiches conseils et fiches thématiques ont été régulièrement mises en ligne.
Le protocole national de déconfinement modifié s’inscrit pleinement dans ce mouvement qui n’a pas manqué de susciter des interrogations sur la valeur normative et donc contraignante de ces documents.
Rappelons très sommairement, tant la matière est riche, que les actes a priori non décisoires comme les recommandations, les guides de bonne conduite, les guides de bonnes pratiques, les chartes, les avis, les communiqués ou encore les protocoles de tous genres, témoignent de l’existence d’un droit dit « souple », traduction française du concept de
soft law issu du droit international, par opposition à un droit « dur » d’origine légale et assorti d’une force obligatoire dont le respect peut être imposé par la contrainte. En réalité, le droit « souple » est une mauvaise traduction car la formule anglo-saxonne traduit davantage l’idée d’un droit « doux » en ce sens qu’il s’agirait d’une normativité édulcorée, qui viserait davantage à inciter qu’à régir.
Le protocole national de déconfinement précise d’ailleurs lui-même qu’il pose des « orientations ». Mais dans le même temps, s’agissant du port du masque, il se montre très directif pour ne pas dire normatif :
« Suite à l’actualisation des connaissances scientifiques sur la transmission du virus par aérosols et compte tenu des recommandations du HCSP, le port du masque grand public est systématique dans les espaces clos et partagés au sein des entreprises (salles de réunion, open-space, couloirs, vestiaires, bureaux partagés… ) », à charge comme nous l’avons vu pour les partenaires sociaux d’en prévoir et organiser la mise en œuvre.
En l’état de la jurisprudence du Conseil d’État alimentée par la crise sanitaire que nous traversons, il nous semble acquis que le protocole, en particulier en ce qu’il pose le principe de l’obligation du port du masque en entreprise, a une portée obligatoire.
Aussi, tout employeur qui, sous réserve bien entendu des mesures d’adaptation possibles, chercherait à s’en affranchir pourrait, nous semble-t-il, voir sa responsabilité recherchée, notamment au titre de la faute inexcusable, sans préjudice d’éventuelles sanctions pénales pour violation d’une obligation de santé et sécurité, le protocole rappelant à juste titre qu’il se fonde sur les principes généraux en matière de protection de la santé et sécurité au travail.
Dans une note établie dans le sillage de la jurisprudence la plus récente du Conseil d’État (ci-après) la DGT précise d’ailleurs qu’en matière de santé et sécurité au travail, au regard du risque de contamination au Covid-19, le respect par l’employeur des préconisations émises sur le site du ministère du travail auront une incidence sur l’appréciation du manquement ou non à l’obligation de sécurité des employeurs tirée de l’article L. 4121-1 du code du travail.
Cette force obligatoire, après certaines hésitations de la jurisprudence administrative, s’infère des récentes décisions GISTI et AFIFAE.
Par un important arrêt de section du 12 juin 2020 (CE 12 juin 2020, n°
418142, GISTI), le Conseil d’État a en effet créé une nouvelle catégorie d’actes administratifs susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation devant le juge administratif, ce qui témoigne de leur force contraignante : les documents dit « de portée générale », qui visent en substance, tous les documents de droit souple. Trois critères sont posés par l’arrêt pour ouvrir la voie du recours en annulation :
-les documents doivent avoir une portée « générale », ce qui implique qu’ils aient vocation à s’appliquer à un nombre indéterminé de situations ;
-ils doivent avoir été établis par des « autorités publiques », ce qui semble exclure qu’ils puissent émaner de personnes privées, même exerçant une mission de service public ;
-et ils doivent exercer une influence, en droit ou en fait, sur la situation des personnes concernées par le document litigieux.
Tel paraît incontestablement être le cas du protocole, notamment en ce qu’il impose le port du masque en entreprise.
Le droit du travail est concerné au premier chef par cette possibilité, désormais ouverte, de contester les actes dit de droit souple ou, suivant leur nouvelle dénomination, les « documents de portée générale ». À vrai dire, le droit du travail a même devancé cet arrêt : l’évolution qu’il réalise s’était d’ores et déjà illustrée une dizaine de jours auparavant dans une ordonnance du juge des référés du Conseil d’État rendue le 29 mai 2020 (CE 29 mai 2020, n°
440452, AFIFAE), dite des « Fontaines à eau ».
Pour accompagner les entreprises dans la mise en œuvre des mesures de protection contre le Covid-19, le ministère du travail avait établi, dès le début de l’épidémie, plusieurs « fiches conseils métiers » détaillant les précautions à prendre dans différents environnements de travail et avait publié ces fiches sur le site du ministère. Il avait également publié des
« guides de bonnes pratiques » établis par les organisations professionnelles et syndicales dans certaines branches d’activité. Or, plusieurs de ces fiches conseils métiers et de ces guides préconisaient de s’abstenir d’utiliser les fontaines à eau sur les lieux de travail, de sorte que l’association française de l’industrie des fontaines à eau avait demandé que leur publication soit suspendue.
Le Conseil d’État s’est livré dans cette affaire au contrôle qui est classiquement le sien lorsqu’il statue en référé : il a vérifié s’il existait à l’encontre de ces documents un doute sérieux quant à leur légalité. Il a ainsi implicitement admis que ces fiches pouvaient faire l’objet d’un contrôle de sa part et, se livrant à ce contrôle, il a estimé qu’en l’état de la gravité de l’infection par le Covid-19, des incertitudes portant sur ses modes de contagion, et aux risques particuliers de contamination induits par la présence simultanée de plusieurs salariés sur un même lieu de travail, il n’y avait pas lieu de considérer que leur publication devait être suspendue.
La portée de cette ordonnance est loin d’être négligeable : elle exprime clairement – ce qu’a confirmé quelques jours plus tard l’arrêt du 12 juin 2020 – que les recommandations et prises de position de l’administration du travail, si elles répondent aux critères posés par le Conseil d’État, ont une portée normative et sont donc susceptibles de recours avant même toute décision individuelle.

Faut-il actualiser le document unique d’évaluation des risques professionnels ?
Le Document Unique d’Évaluation des Risques professionnels (
DUER) contient la transcription de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle l’employeur doit procéder (c. trav. art. L. 4121-3). Ce document doit être mis à jour, en dehors de celle périodiquement effectuée chaque année, dans deux situations (c. trav. art. R. 4121-2).
Tout d’abord, cette mise à jour s’impose lorsque toute décision d’aménagement important modifiant les conditions d’hygiène et de sécurité ou les conditions de travail est prise. La seule et unique modification du protocole ne constitue apparemment pas par elle-même une telle circonstance, sauf si l’entreprise conduit à cette occasion des changements importants ou si l’impact de l’application du protocole sur d’autres entreprises pouvait générer des changements organisationnels dans l’entreprise en question…mais il s’agira de ces changements qui seront facteurs d’actualisation du DUER.
La mise en jour est également nécessaire lorsqu’une information supplémentaire concernant l’évaluation d’un risque dans une unité de travail est recueillie. Selon l’administration, cette disposition permet de tenir compte de l’apparition de risques nouveaux ou de la connaissance nouvelle de risque existants à la suite de la survenance d’accidents ou de l’évolution des règles relatives à la sécurité ou à la santé des travailleurs (circ. DRT n° 6 du 18 avril 2002).
L’employeur doit veiller à l’adaptation des mesures nécessaires de prévention des risques professionnels, l’organisation et les moyens adaptés pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs,
« pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes » (c. trav. art. L. 4121-1).
La situation actuelle peut vraisemblablement se rattacher à cette seconde catégorie, au titre de la nécessaire adaptabilité et du caractère structurellement évolutif de l’évaluation des risques professionnels qui nécessitera dans de nombreux cas un amendement du DUER.
Tout dépend en réalité de la situation d’origine dans l’entreprise. Si le niveau d’évaluation des risques dans le DUER se situait déjà à un seuil qui est celui aujourd’hui atteint et en tirait les conséquences en termes de mesures de prévention, avec par exemple un port de masque dans tout lieu clos et partagé à tout moment, cette actualisation peut ne pas être nécessaire.
La question pratique et de bon sens à se poser est en réalité la suivante. Le nouveau contexte de regain potentiel de l’épidémie produit-il des conséquences au regard de la précédente évaluation des risques et des mesures qui en découlaient ?
Comme dans toute la société française, la situation des entreprises va être partagée entre celles qui ne prévoyaient le port du masque qu’en cas d’impossibilité avérée de respect de la distance physique d’au moins 1 mètre entre deux personnes et celles qui avaient posé des principes plus larges de port de cet équipement dans l’enceinte de l’entreprise.
Par ailleurs, la nouvelle donne induira aussi dans certains cas une évolution de l’organisation de la présence des salariés dans les locaux de l’entreprise, avec soit des situations nouvelles de télétravail, soit une autre organisation des localisations et des relations humaines. Cela impliquera en pareil cas l’actualisation du DUER.
De même, la question du plexiglas pourra être soulevée. Le plexiglas constitue-il toujours une alternative au port du masque en cas de bureau collectif ? Si l’entreprise avait préconisé l’installation de plexiglas dans un bureau comme seul équipement de protection, il pourrait convenir de modifier cette mention, sous réserve des adaptations éventuelles qui seront prévues après avis du Haut Conseil de la Santé Publique.

Faut-il modifier le règlement intérieur ?
Le protocole même modifié ne se suffit pas à lui-même. Sa mise en œuvre au sein des entreprises requiert, nous l’avons vu, un dialogue social renforcé précédé d’un travail de réflexion approfondie avec les partenaires sociaux.
Comme le prévoit le protocole, les mesures de protection concernant les salariés ou toute personne entrant sur le lieu de travail seront intégrées dans le règlement intérieur de l’entreprise ou par note de service si l’entreprise en est dépourvue.
Pour mémoire, le règlement intérieur, document obligatoire dans les entreprises ou établissements d’au moins 50 salariés, fixe les mesures d’applications de la réglementation en matière de santé et de sécurité au travail et notamment les conditions d’utilisation des équipements de travail ainsi que les règles générales et permanentes relatives à la discipline (c. trav.
art. L. 1321-1).
Une obligation de port du masque en entreprise dans un certain nombre de situations entre pleinement dans ces prescriptions.
L’administration indique que les consignes de sécurité que les salariés doivent respecter en vue d’assurer leur propre sécurité et leur santé et celle des autres travailleurs figurent bien dans les matières traitées par le règlement intérieur (circ. DRT n° 5-83 du 15 mars 1983).
Comme l’a cependant précisé le juge administratif, la clause du règlement intérieur prévoyant le port d’équipements de sécurité doit être justifiée par la nature de la tâche à accomplir et ne doit pas être disproportionnée au but recherché (CE 16 décembre 1994, n° 112855). Quid ainsi d’une clause qui prévoirait l’obligation de port du masque y compris dans un bureau où le salarié est seul et isolé ?
Le projet de règlement intérieur doit être soumis à l’avis du CSE. Ces dispositions s’appliquent également en cas de modification ou de retrait des clauses du règlement intérieur (c. trav.
art. L. 1321-4). Il est par ailleurs communiqué à l’inspecteur du travail et, tel qu’il résulte de la consultation des représentants du personnel, est déposé au greffe du conseil de prud’hommes du ressort de l’entreprise ou de l’établissement.
Il doit, en outre, être porté, par tout moyen, à la connaissance des personnes ayant accès aux lieux de travail ou aux locaux où se fait l’embauche (c. trav.
art. R.1321-1 et s.).
Lorsque l’urgence le justifie, les obligations relatives à la santé et à la sécurité peuvent recevoir application immédiate, avant même la réception de l’avis du CSE et avant le délai d’un mois légalement applicable après le dépôt. Dans ce cas, ces prescriptions sont immédiatement et simultanément communiquées au secrétaire du CSE, ainsi qu’à l’inspection du travail (c. trav.
art. L. 1321-5). Il est sans doute possible de considérer qu’il y a bien une telle urgence, au regard de la date d’application rapprochée de la mesure et des risques de redémarrage de la pandémie qui ont conduit à ce choix d’une échéance proche.
Les notes de service ou tout autre document comportant des prescriptions générales et permanentes, en matière de discipline, d’hygiène ou de sécurité, sont assimilées au règlement intérieur et sont donc soumises aux mêmes dispositions légales (c. trav.
art. L. 1321-5).
L’
importance de ces formalités est réelle car leur inaccomplissement peut réduire la portée du pouvoir de direction de l’employeur. Ainsi, la jurisprudence a précisé que l’employeur ne peut pas reprocher à un salarié un manquement aux obligations édictées par ce règlement dès lors qu’il ne justifie pas avoir préalablement consulté les représentants du personnel. En effet, l’ « illégalité » du règlement intérieur implique potentiellement celle des sanctions prises pour violation de celui-ci (cass. soc. 9 mai 2012, n° 11-13687 FSPB). Ces principes s’appliquent logiquement pour toute modification du règlement intérieur effectuée sans avoir rempli ces formalités qui est également inopposable au personnel de l’entreprise (cass. soc. 11 février 2015, n° 13-16457 FSPB). Le Conseil d’État a précisé par ailleurs qu’une entreprise absorbant un établissement distinct doit soumettre son règlement intérieur pour avis aux représentants du personnel de l’établissement pour le rendre opposable aux salariés. Pour celui-ci, le règlement intérieur n’est pas opposable au salarié faute d’avoir été soumis aux représentants du personnel de l’atelier (CE 20 mars 2017, n° 391226).
De même, a-t-il été jugé que la mise à pied disciplinaire prononcée à l’encontre d’un salarié sur la base d’un règlement intérieur qui a seulement été affiché par l’employeur dans la salle de pause de l’entreprise n’est pas valable (cass. soc. 1er juillet 2020, n°
18-24556 D).

Faut-il consulter le CSE ?
Tout dépend en réalité de ce que fait l’entreprise.

Ne change-t-elle rien à ses modes de fonctionnement car elle était antérieurement déjà dans une situation ou les règles de sécurité étaient conformes au nouveau contexte ? En pareil cas, la consultation ne semble pas s’imposer.

Modifie-t-elle de manière significative son organisation du travail plus largement avec changement des conditions de recours au télétravail et élargissement des situations de port obligatoire du masque ?
En pareil cas, la consultation est nécessaire. En effet, l’organisation du travail, les conditions de travail et d’emploi font partie des sujets sur lesquels le CSE est consulté (c. trav.
art. L. 2312-8). Plusieurs tribunaux judiciaires ont considéré que la mise à jour du DUER et/ou des changements importants de l’organisation du travail impliquaient d’associer le CSE et dans certains cas de procéder à une consultation préalable (TJ Le Havre, 7 mai 2020, n° 20/00143 ; TJ Lille, 24 avril 2020, n° 20/00395).
Si sur l’actualisation du DUER, les tribunaux peuvent être partagés, certains ne faisant pas de la consultation des CSE, en particulier d’établissements (TJ Lyon, 22 juin 2020, n° 20/00701) forcément un préalable indispensable, tous considèrent que les salariés, et via leurs représentants parait une voie logique notamment, doivent être associés à cette actualisation.
S’agissant du changement organisationnel, tout dépendra en réalité de son importance à la fois qualitative et quantitative en nombre de salariés et de site et des éventuelles spécificités sur certains établissements.
L’entreprise se borne-t-elle à modifier son règlement intérieur en changeant simplement les situations où le port du masque s’impose ? Comme évoqué précédemment la modification du règlement intérieur implique la consultation du CSE.
Mais également le fait que les conditions d’utilisation des équipements de protection individuelle (EPI) que constituent les masques sont modifiées. En effet, l’employeur détermine après consultation du CSE, les conditions dans lesquelles les EPI sont mis à disposition et utilisés, notamment celles concernant la durée de leur port (c. trav.
art. R. 4323-97).

Quid des délais de consultation du CSE ?
Une difficulté va résider dans l’application des délais de consultation.
En effet, sauf dispositions législatives spéciales, un accord majoritaire ou l’accord d’adaptation relatif aux consultations et informations ponctuelles, fixe les délais dans lesquels les avis du CSE ou, le cas échéant, du CSE central sont rendus dans le cadre des consultations générales. En l’absence de délégué syndical, un accord entre l’employeur et le CSE ou, le cas échéant, le CSE, adopté à la majorité des membres titulaires de la délégation du personnel du comité peut également les fixer. À l’expiration de ces délais, le comité ou, le cas échéant, le comité central, est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif (c. trav.
art. L. 2312-16).
À défaut d’accord collectif ou de fixation de délai particulier, le CSE est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif à l’expiration d’un délai d’un mois (c. trav.
art. R. 2312-6). En cas d’intervention d’un expert, le délai est porté à 2 mois et de 3 mois en cas d’intervention d’une ou plusieurs expertises dans le cadre de consultation se déroulant à la fois au niveau du CSE central et d’un ou plusieurs comités sociaux et économiques d’établissement.
Compte tenu de l’urgence et de la réactivité nécessaire, le décret
2020-508 du 2 mai 2020 adaptant temporairement les délais relatifs à la consultation et l’information du CSE afin de faire face aux conséquences de la propagation de l’épidémie de Covid-19 avait réduit exceptionnellement à 8 jours (jusqu’à 12 jours dans les cas d’expertise) le délai applicable lorsque les consultations portent sur les décisions de l’employeur qui ont pour objectif de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de Covid-19. Mais cette faculté a été ouverte pour les délais qui commencent à courir jusqu’au 23 août 2020.
Il convient donc de distinguer plusieurs cas :
-si la consultation se borne à la question de l’obligation de port de masque dans le cadre d’une modification du règlement intérieur, on pourrait considérer que les dispositions relatives à l’urgence (voir plus haut) constituent des dispositions spéciales qui permettent d’appliquer la mesure avant réception de l’avis ;
-si en revanche, la consultation va au-delà et vise des mesures organisationnelles importantes, le délai applicable selon que la consultation a débuté avant ou après le 23 août rendra possible ou non une application des mesures avant le 1er septembre 2020.

Les masques sont-ils des équipements de protection individuels ?
Un équipement de protection individuelle (EPI) est un équipement conçu et fabriqué pour être porté ou tenu par une personne en vue de la protéger contre un ou plusieurs risques susceptibles de menacer sa santé ou sa sécurité (c. trav.
art. R. 4311-8). Un masque peut être clairement considéré comme tel, avec en facteur additionnel le fait qu’il protège aussi les collègues de travail de l’intéressé.
Les mesures concernant la sécurité, l’hygiène et la santé au travail ne doivent en aucun cas entraîner des charges financières pour les travailleurs (c. trav.
art. L. 4122-2). Il ne s’agit pas d’un avantage en nature (c. trav. art. R. 4321-4).
Il en résulte que les équipements de protection individuelle sont
fournis gratuitement par l’employeur, qui assure leur maintien dans un état hygiénique satisfaisant (c. trav. art. R. 4323-95). Pour les travailleurs temporaires, c’est l’entreprise utilisatrice qui est en charge de cette responsabilité (c. trav. art. L. 1251-23).
La question d’une participation de l’État à son financement a été posée tout récemment par des organisations patronales proches notamment des PME, qui s’inquiètent du coût de cette mesure pour des employeurs déjà fortement affectés par la crise.
L’employeur doit informer de manière appropriée les travailleurs devant porter les masques des risques contre lesquels l’EPI les protège, des conditions d’utilisation de cet équipement, des instructions et consignes et des conditions de la mise à disposition. Une formation adéquate, renouvelée chaque fois que nécessaire est organisée (c. trav.
art. R. 4323-106).
La fourniture des masques est une responsabilité de l’employeur. Il en résulte que le choix de la nature du masque fourni sera consécutif à une évaluation des risques et des situations.
Si le salarié vient avec son propre masque, l’employeur pourra sans doute exiger qu’il porte le masque fourni par l’entreprise, même si le salarié argue du caractère prétendument plus protecteur de « son » masque.
À date, le protocole contient une annexe 3 qui définit leur nature, leur usage et leurs performances. Il est vivement recommandé de s’y tenir.

Le salarié peut-il faite usage de son droit de retrait à défaut de fourniture de masque ?
Lorsque le travailleur dispose d’un motif raisonnable de penser qu’une situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, il peut se retirer de la situation de travail (c. trav.
art. L. 4131-1 et s.).
Cette notion est à la fois absolue, avec le caractère grave et imminent du danger renvoyant à une situation inhabituelle qui dépasse le simple risque inhérent du travail et de l’activité, et relative, dans la mesure où elle se rapporte à la bonne foi du salarié qui peut avoir un motif raisonnable de considérer la situation comme telle.
Le défaut de protection individuelle a pu justifier un droit de retrait dans certaines situations comme par exemple sur des travaux en hauteur avec de mauvaises conditions météorologiques et sans protection (CA Douai, ch. soc., 30 septembre 2008, n° 07/02873). Le juge a même considéré que le salarié pouvait refuser d’effectuer une tâche à l’accomplissement de laquelle il ne devait pas être affecté dès lors que l’employeur n’avait pas exécuté les obligations à sa charge pour assurer la protection de la santé au travail (cass. soc. 18 décembre 2007, n°
06-43801 FSPB).
Mais, l’existence d’équipements à disposition, et la prise en considération des contraintes spécifiques le cas échéant de l’intéressé, peut aboutir à rendre illégitime le droit de retrait. La Cour de cassation a ainsi jugé que le refus de deux maçons de travailler en hauteur car il pleut et vente n’avaient pas un tel motif raisonnable (cass. soc. 20 janvier 1993, n°
91-42028, BC V n° 22).
On peut noter que le changement temporaire d’affectation d’un salarié par l’employeur qui aurait fait usage de son droit de retrait peut s’analyser au regard du juge comme une simple modification des conditions de travail, ne nécessitant donc pas l’accord du salarié, si cette affectation est motivée par l’intérêt de l’entreprise et justifiée par des circonstances exceptionnelles, dès lors que le salarié a été informé préalablement du caractère temporaire de l’affectation et de sa durée prévisible (cass. soc. 3 février 2010, n°
08-41412 FPPBR).

Comment gérer la situation des salariés qui refuseraient de porter un masque ?
Conformément aux instructions qui lui sont données par l’employeur, dans les conditions prévues au règlement intérieur pour les entreprises tenues d’en élaborer un, il incombe à chaque travailleur de prendre soin en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celle des autres personnes concernées par ses actes et omissions au travail (c. trav.
art. L. 4122-1).
Il en résulte que si le port du masque est prescrit dans l’entreprise et qu’un salarié refuserait de le porter, il est envisageable de le sanctionner.
Avant d’en venir à cette extrémité, deux questions doivent cependant être utilement soulevées.
En premier lieu, la raison invoquée de refus de port du masque peut-elle être légitime et motiver un traitement particulier ?
Un obstacle de nature médical peut par exemple s’opposer à un tel port et dans ce cas, l’avis du médecin du travail pourra être sollicité. À noter que le décret
2020-549 du 11 mai 2020 permet aux médecins du travail et aux médecins collaborateurs, lorsque le protocole établi par le médecin du travail le prévoit, de prescrire des arrêts de travail ou de renouveler des arrêts de travail prescrits, ainsi que des certificats d’isolement aux salariés (un dispositif prolongé jusqu’au 31 août, et qui pourrait être encore allongé ).
Mais, en pareil cas, si la contre-indication médicale est avérée, sur constat d’un médecin, soit le salarié est une personne vulnérable qui devra donc faire l’objet des attentions prévues à cette fin avec télétravail ou en cas d’impossibilité, placement en arrêt de travail, soit le salarié est simplement incapable de porter le masque fourni par l’entreprise et dans ce cas, le port d’autre EPI pourra être envisagé. En cas de caractère insurmontable de la difficulté dans le second cas, une inaptitude peut aussi être envisagée par le médecin du travail.
La seconde question à examiner en cas de refus est celle du reclassement possible ou non du salarié sur un autre poste. Cette question est à examiner avec circonspection car un refus par simple convenance ou inconfort de la part du salarié ne peut conduire à reclasser automatiquement chaque personne vers des postes ou le port du masque n’est pas requis. Mais l’exécution de bonne foi du contrat de travail peut conduire dans des situations flagrantes à examiner ce type de question, dès lors que le refus pourrait se fonder sur des arguments susceptibles d’être pris en considération et allant au-delà du simple inconfort.
En particulier, un désaccord sur la possibilité de mettre en œuvre le télétravail sur le poste du salarié ne peut conduire celui-ci, pour cette raison, à refuser de porter un masque de manière légitime.
Le manquement à l’obligation qui est faite au salarié de prendre soin de sa sécurité et de celle des autres personnes, du fait de ses actes ou de ses omissions au travail, engage sa responsabilité et peut constituer une faute grave (cass. soc. 28 mai 2008, n°
06-40629 D).
Tel est le cas d’un chef de chantier qui de façon réitérée ne respecte pas son obligation de porter un casque de sécurité obligatoire (cass. soc. 23 mars 2005, n°
03-42404 FPB). Tel est le cas aussi du salarié couvreur, conscient des risques du fait notamment de son ancienneté et de sa formation et qui décroche son harnais de la ligne de vie (cass. soc. 31 janvier 2012, n° 10-21472 D). En cas de refus, si le maintien du salarié est impossible dans l’entreprise au regard des circonstances, une telle éventualité pourra être envisagée.
En fonction des caractéristiques de la situation et de l’intéressé, il pourra parfois être nécessaire de vérifier la réitération du refus après que l’intéressé ait été invité à se retirer de la situation de travail sans pour autant réduire sa rémunération.
Projet de nouveau protocole visant à assurer la sécurité et la santé des salariés face à l’épidémie de Covid-19

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